Voici l'homme

Publié le par Mlle Georges

 

On devrait vivre seul, privé de toute crainte, jouissant quand on aurait envie de jouir et libéré du regard. On le sait bien, on a oublié cette quiétude de n’imposer sa présence à personne. De quel droit d’ailleurs lui infligerait-on ce que de soi-même on est si peu enclin à accepter, là où, omniscient et détaché, on rit déjà de cette phrase encore inachevée, de ce geste à peine esquissé ? Entre ce qu’on dit, ce qu’on voudrait dire, ce que l’autre comprend, ce qu’il nous concède et la façon dont on l’exprime, combien de chances pour qu’on atteigne cette étincelle de grâce en partage ?


Nous sommes pourtant déjà perdus, condamnés, à peine l’idée émise on enfile le masque et l’on se lance, en quête de reconnaissance. Sans le regard on s’étiole, avec lui on se perd, on se dépasse, on séduit, on se détruit, on se console. Oh, le nôtre n’est pas moins méprisant : il adule, s’ébloui, puis se gâte, s’aveugle et se conforme.  


Décider, la voilà la clé de l'heureux solitaire : se gaver d’un égoïsme salvateur, décider seul de l’emploi de ce temps qui file, sans concession, et choisir au besoin de prêter son regard, son corps, ses entrailles avec autant d’abandon que de nécessité. Mais elle sonne l’alarme de l’éthique et de la compassion : on ne vit pas de tels déserts, il y a toujours une partie de soi-même qu’on ampute. L’éternel hiatus du regard qui se pose : on ne peut être seul et comblé. C’est ainsi, on se réserve le droit de la rencontre, notre addiction, le plaisir extatique du moment absolu et renouvelable. Alors on ravale l’angoisse toujours prête à bondir, on apprivoise l’animal, on le tord, on le chéri et l’on se jette nu, disponible.  



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Ecce, Victor Hugo


Publié dans blablabla

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A
Très bon texte ! merci.
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